Rhétoriques de guerre

« His plan, McCain will say, is to win. The Democrats’ is to surrender, he will say »

Richard Cohen

L’éditorialiste star du Wahsington Post publie ce mois ci un papier assez brillant sur la rhétorique guerrière de McCain. Tirant parti de l’amélioration de la situation en Irak, McCain rappelle qu’il était l’avocat principal de l’augmentation du contingent militaire, opposé à l’époque au déni de Bush. McCain, quoique bien souvent trop belligérant selon les standards européens, parvient à ancrer dans l’opinion américaine que si les démocrates ne parlent que de retrait et de défaite, lui propose une sortie par le haut en martelant les promesses de victoire.

la rétention de sûreté, une double peine?

Robert Badinter a dit :

« L’homme dangereux va remplacer l’homme coupable devant notre justice. » [1]

La justice pénale a pour but la rétribution de la blessure sociale et la réinsertion du délinquant, du criminel, selon les doctes phrases de la doctrine.

Ou devrait-on dire, avait pour but.

La nouvelle loi adoptée par le Sénat le 7 février dernier – et en partie validée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 21 février 2008[2] – est une loi d’élimination.

Elle prévoit que les personnes présentant une  » particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive… » pourront être placé en rétention de sûreté, à condition qu’elles aient été condamnées à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans.

Ce n’est donc plus l’acte, le crime en lui-même qui va justifier une privation de liberté telle que la rétention de sûreté mais une dangerosité liée à la seule personnalité.

Qui va être « juge » de la personnalité ? Le psychiatre.

Discipline dont on connaît l’exactitude au point que la possibilité des contre et nouvelles expertises est largement utilisée par les acteurs du procès pénal tant ils connaissent les divergences d’une expertise psy à l’autre.

Mais quel expert prendrait le risque d’effectuer un tel pronostic de probabilité de récidive ?

Il se trouverait en effet face à deux hypothèses toutes deux à rendre…. fou :

maintenir, de façon permanente une personne en rétention de sûreté parce qu’elle aurait pu très probablement (mais pas certainement), après avoir effectué sa peine, récidiver…

où considérer que cette personne ne devrait « probablement » pas récidiver et en conséquence la laisser en liberté…

Oui, mais le probable n’étant pas certain, dans le premier cas, on enferme à vie une personne qui, coupable d’un crime pour lequel elle a déjà purgé sa peine en purge une seconde à vie pour le « crime virtuel » que lui prêtent des psys et dans la seconde hypothèse, on prend le risque de laisser en liberté un récidiviste qui aurait échappé au pronostic d’un expert…

Badinter soulignât l’absurdité inhumaine du système :

« Au nom du principe de précaution criminelle, on maintiendra en détention « thérapeutique » des êtres humains auxquels aucune infraction n’est imputée, par crainte qu’ils n’en commettent une !

Paradoxalement, cette loi pénale friande de « probabilité », fait fi des statistiques.

Contrairement aux idées reçues, la récidive en matière de crime est la plus rare selon les statistiques judiciaires elle-mêmes :

Le taux de récidive est de 2,6% pour la récidive légale retenue par les juridictions en 2002. Si l’on prend les personnes libérées en 1996/97 et qui sont retournées en prison dans les cinq années suivantes, les taux sont encore plus bas, de l’ordre de 5 pour 1000.

Le plus significatif est que le nombre de condamnés en récidive de crime baisse constamment. La baisse de 1996 à 2003 est de 57%, le nombre de personnes condamnées pour crime en état de récidive baisse régulièrement: de 133 en 1996 à 57 en 2003[3].

La récidive de crime sexuel dans les 5 ans après la libération est de 1%…

Par ailleurs, la libération conditionnelle est un frein important à la récidive.

Le dispositif prévu semble donc totalement inadapté et ne répond pas au problème toujours actuel du manque de moyens notamment de la psychiatrie publique et pénitentiaire.

Les tribunaux sont déjà bien en peine d’obtenir des psychiatres pour le suivi des victimes et des enfants en danger et en souffrance. Alors ….

Le texte prévoit que « La rétention de sûreté consiste dans le placement de la personne intéressée en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure. »

Il suffit de survoler le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) relatif à sa visite effectuée en France du 27 septembre au 9 octobre 2006 pour comprendre que le minimum de dignité ne peut déjà pas être assuré au sein des prisons françaises… Alors imaginer que la France aura les moyens de mettre en œuvre des centres avec « une prise en charge médicale, sociale et psychologique »…

Une société sans crime existe-t-elle ? Une société sans risque existe-t-elle ?

Rappelons nous que l’INSERM dans une expertise collective publiée le 22 septembre 2005 préconisait de rechercher chez l’enfant, dès l’âge de trois-quatre ans, les signes « prédictifs » d’une délinquance future[4].

En avril 2007, dans Philosophie Magazine, Nicolas Sarkozy dialoguant avec Michel Onfray ne disait pas qu’il pensait que l’ « on naît pédophile ».

Ce dispositif s’inscrit dans un contexte extrêmement sécuritaire de tentative (vaine) d’élimination du risque qui permet de maintenir la population dans la peur plutôt que de l’éduquer.

 

La confortation des peurs et le recours à la psychiatrie par le politique a un ptit air de déjà vu de l’Histoire des plus désagréables et des plus inquiétants[5].


[2] Décision n°2008-562 DC – 21 février 2008 http://www.conseil-constitutionnel.fr

[3] La récidive, mobiliser l’intelligence, non la peur, Serge Portelli, Magistrathttp://comm.justice.lesverts.fr/IMG/doc/Portelli.doc

[4] Voir en réponse, l’avis du Comité Consultatif National d’Ethique

http://www.ccne-ethique.fr/docs/fr/avis095.pdf

[5] Henri Donnedieu de Vabres, La crise du droit pénal moderne, La politique criminelle des Etats Autoritaires, Sirey, 1938. ( et notamment le commentaire des Code pénal italien de 1930 et code pénal allemand de 1933)

Le népotisme des pays arabes

Shlomo Ben Ami a dit:

« As countries like Egypt, Syria, and Lybia might be indicating, hereditary succession is not an inherently reactionary move. Rather, it means opting for a controlled transition to a post-revolutionary phase »

La tribune publiée ce mois ci par Ben Ami donne une lecture particulièrement fascinante du népotisme à la mode dans les pays arabes. La Syrie a déjà inauguré le phénomène avec le passage de Hafez à Bachir El Assad, et tout indique que la Lybie et l’Egypte pourraient suivre ces traces. Traces peu estimées en Occident, où ce mode politique n’est guère du goût des défenseurs de la démocratie moderne.

Oui mais voilà!  Ben Ami souligne que ce népotisme, loin d’être une survivance primitive d’un passé tribal, pourrait bien constituer un mode politique bien plus adapté au contexte socio-politique des pays en question, que la démocratie dont les résultats s’avèrent bien souvent peu au goût des puissances occidentales.

Une pierre de plus dans le jardin des orientalistes!

La supercherie Olivennes, ou la candeur politique face au piratage intellectuel

Denis Olivennes, dans son rapport sur la lutte contre le piratage intellectuel, a écrit :

« Il s’agit de rendre plus difficile et plus couteux le téléchargement illégal, et, inversement, plus facile et moins cher le téléchargement légal. »

Cette phrase est illustrative de la nature de ce rapport. Sur le plan pratique, il est irréaliste en proposant des solutions impossibles à mettre en œuvre. Sur le plan logique, il fait preuve de mystification en plaçant le débat sur le mauvais terrain.

Sur la faisabilité technique tout d’abord. Aucune des solutions proposées ne peut permettre un contrôle pratiquement réalisable et suffisamment exhaustif des échanges de fichiers illégaux n’empiétant pas sur la liberté individuelle des utilisateurs ou ne pénalisant pas les échanges légaux. Le contrôle de ports et de protocoles, le filtrage d’URL ou d’adresses IP, le marquage numérique sont des chimères lorsque la zone de contrôle est grande comme la planète, quand les utilisateurs contrôlent l’ensemble du cycle de piratage et ont accès aux technologies de cryptage et d’anonymisation les plus récentes.

Sur l’attractivité de l’offre légale ensuite. Il est dur d’imaginer que Mr Olivennes soit suffisamment candide pour effectivement croire qu’une large majorité de la population délaisse l’offre légale car elle est trop compliquée à utiliser. C’est une part si restreinte de la vérité qu’elle en est grotesque. Il s’agit d’être réaliste : les utilisateurs consomment l’offre illégale car elle est gratuite, et qu’elle constitue une bonne revanche sur le système en place.

Ce dernière explication n’est pas la moindre : de tout temps le piratage a autant constitué un moyen de s’enrichir facilement que de se rebeller contre le pouvoir en place. Les autorités ont choisi de désigner par « piratage » la mise en commun des ressources culturelles, elles doivent logiquement assumer les conséquences syllogiques de ce choix lexical. Que l’industrie peut elle attendre de consommateurs chaque année pris en otage par une politique tarifaire délirante ? Les instances culturelles ont beau jeu de tirer la corde sensible du juste prix de la culture quand une place de cinéma en 2008 coute 10 euros et une place de comédie musicale 80. Le piratage constitue une trop belle occasion pour le consommateur de prendre sa revanche sur le système.

Deux alternatives crédibles au piratage s’offre, à mon sens. La première sauve l’industrie cinématographique aujourd’hui. Si, en effet, les ventes de disques et de DVD s’effondrent, la santé du cinéma reste vigoureuse. Pourquoi ? Parce que les citoyens sont prêts à payer moins la propriété intellectuelle que l’expérience en elle-même. Contrairement aux arguments débilisants de l’industrie, l’expérience d’un film téléchargé reste peu ou prou la même que celle d’un film acheté. L’expérience d’une salle équipée des dernières technologies digitales, projetant sur un écran de 150 m ², reste en revanche incomparable et justifie les prix élevés pratiqués par les circuits.

Concernant la sphère privée, la révolution pourrait bien venir d’ailleurs. Longtemps conférée au rayon SF, les écrans 3D deviennent une réalité de plus en plus palpable. Sony et Phillips ont récemment présentés des équipements grands publics qui devraient être rapidement abordables, tandis que la production de contenu en relief devrait s’accélérer.
Avantage décisif pour l’industrie : si le contenu en relief n’engendre pas un surcoût de production très important, il créé cependant de hautes barrières au piratage.

La deuxième alternative est moins réjouissante car elle est axée sur la régulation plutôt que sur l’innovation. Elle pourrait cependant être rapidement mise en œuvre, pour de simples questions de survie du réseau mondiale. La lutte contre le piratage ne serait en effet qu’un corollaire d’une politique de contrôle qui a pour ambition première de réguler le volume de données transitant par les réseaux. Un récent rapport de spécialistes s’inquiète en effet d’une possible saturation des réseaux à court terme, due au développement exponentiel du haut débit. Une solution crédible est actuellement à l’essai par un fournisseur d’accès à Internet dans le sud des Etats Unis : casser le modèle tarifaire forfaitaire pour adopter un paiement au volume. Si cette politique de prix ne devrait pas pénaliser les utilisateurs médians d’Internet, les gros volumes de données devraient rebuter les abonnés (un film « pèse » 10.000 fois plus lourd que la une du Monde).

Par l’innovation ou par la régulation, le piratage peut être menacé à court terme. Certainement pas par les prétentieuses mesures de Monsieur Olivennes, mais plutôt par une évolution naturelle de l’écosystème numérique.

Séparation Etat /Eglise, acte I

Nicolas Sarkozy a dit :

« Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. »

Délicat sujet que celui de la séparation entre l’état et l’église. Délicat, en fait, car le principal argument contre la position de Sarko est également son argument rhétorique le plus faible : à se cacher systématiquement derrière la sacro-sainte laïcité de 1905, on n’en vient à ne plus savoir pourquoi cette laïcité étatique est si précieuse. Gardons ce sujet au chaud, je voudrais simplement réagir à cette déclaration en détaillant un peu mon indignation.

Cette prise de position me choque en effet pour trois raisons :

1) Sarkozy semble insinuer qu’une société démocratique ne peut pas fonctionner sans religion. Je lis ça comme une remise en question de la laïcité puisqu’indirectement, le président des français est convaincu que le système démocratique est insuffisant dans sa forme actuel : un regroupement d’individus indépendants dont la cohésion n’est pas garanti par le partage d’une foi mais par la mise en commun d’idéaux politiques!
2) Pire, la phrase laisse un arrière gout de culpabilisation pour les citoyens athés. Ceux qui ne sont pas élevés au contact d’un homme de foi ont une éducation incomplète et peut être une morale défaillante. Cela suffirait-il à expliquer les troubles actuels?
3) Enfin, il me semble particulièrement maladroit de ne retenir que le curé ou le pasteur. Soit tu ne retiens que le ministre de ta foi, soit tu as la délicatesse de mentionner ceux des autres grandes religions, mais tu ne t’arrêtes pas en chemin!

Carton rouge, donc…